Défense juridique et reconnaissance légale des territoires
Perspectives autochtones de la réunion régionale latino-américaine du CICADA 2018
« La Constitution reconnaît les conventions internationales, la loi de mère nature… mais ce n’est que sur papier, ce n’est pas respecté, ce n’est pas appliqué. Ils décatégorisent les aires protégées afin de permettre l’extraction, et ce sont des territoires ancestraux! L’État est une marionnette manipulée par des sociétés transnationales » – Perspective de la Bolivie
« Même si il y a des avancées constitutionnelles, les lois qui en découlent sont inconstitutionnelles et elles violent les droits des peuples autochtones reconnus dans la Constitution. » – Perspective du Mexique
« Il est nécessaire de soutenir le droit à l’autonomie gouvernementale et le droit autochtone. Sans cela, la Convention 169 ou la DNUDPA ne servent à rien – c’est à double tranchant. » – Perspective de la Colombie
Ce thème se centre sur des sujets qui recoupent tous les thèmes et les programmes de travail du Centre sur la conservation et le développement autochtones alternatifs (CICADA):
- Droits des Peuples autochtones : des droits fondamentaux inscrits dans des cadres internationaux des droits de la personne, reconnus nationalement par la loi de l’État et définis dans la jurisprudence nationale et internationale;
- Droit autochtone : l’élaboration autonome de règles autochtones qui sous-tendent l’autonomie gouvernementale; et
- Interlégalités : à savoir la rencontre entre le droit autochtone et les autres systèmes juridiques.
Les systèmes de droit autochtone, les droits des Peuples autochtones et les interlégalités opèrent dans un contexte d’économies extractivistes qui impliquent un éventail d’acteurs ayant des objectifs différents et des modèles de développement qui se heurtent souvent à ceux des peuples autochtones. Les Peuples autochtones qui revendiquent leurs droits et leur loi peuvent faire face à une opposition violente. Dans certaines régions, cet enchevêtrement implique également des acteurs armés illégaux qui ont des effets dramatiques sur l’autonomie et la survie quotidienne des peuples autochtones. Les actions en justice ne sont alors qu’une option parmi un ensemble d’approches; malgré des victoires considérables devant les tribunaux, la bataille pour les mettre en œuvre en faveur de la protection territoriale se poursuit.
Lors de l’atelier des Amériques 2018, des collaborateurs autochtones au sein du réseau du CICADA ont articulé plusieurs préoccupations principales pour ce thème, y compris les incohérences entre les cadres nationaux et le droit international; l’application, ou le décalage entre le droit existant et le droit en pratique; et les moyens de protection incomplets des droits territoriaux des Peuples autochtones et du droit autonome. Malgré un recours croissant au droit, comme beaucoup le disent, par le recours aux tribunaux et à des actions en justice, les participants ont souligné que ceux-ci produisaient souvent des résultats limités et que d’autres stratégies complémentaires étaient nécessaires et pouvaient être beaucoup plus efficaces, notamment le renforcement de l’autonomie, descendre dans la rue pour protester, participer à des recherches communautaires ou créer des réseaux entre les peuples autochtones aux niveaux national et international, ainsi qu’avec des universitaires.
Le réseau du CICADA encourage la recherche non seulement pour responsabiliser les États et les acteurs extérieurs, tels que les entreprises, dans la défense des droits des Peuples autochtones et du droit autochtone, mais également en tant que ressource inestimable pour les collaborateurs autochtones afin de renforcer leur propre analyse et leurs actions en faveur de l’autonomie et de l’autodétermination.
Les droits des Peuples autochtones
Depuis son adoption en 2007, la Déclaration des Nations Unies sur les droits des Peuples autochtones (DRIPS) est devenue l’expression d’un consensus mondial sur les droits des Peuples autochtones, notamment sur le droit à l’autodétermination, en vertu de quoi ils déterminent librement leur développement économique (Art. 3); sur le droit à l’autonomie pour tout ce qui touche à leurs ’affaires intérieures et locales (Art. 4); et sur le droit de définir leurs priorités en vue d’exercer leur droit au développement (Art. 23). En conséquence, certaines actions de l’État – telles que les mesures affectant les terres ancestrales et les moyens de subsistance des peuples autochtones – ne sont pas admissibles sans le consentement préalable donné librement et en connaissance de cause des peuples autochtones. Les questions de recherche sur ce sujet incluent: Comment la DRIPS est-elle mise en oeuvre au Canada et à travers l’Amérique latine; quels sont les défis de l’application des normes de droit international en droit interne; quelles sont les réponses des systèmes judiciaires devant ce défi; les politique des entreprises sur le consentement préalable donné librement et en connaissance de cause sont-elles uniformes et cohérentes; et pourrait-il y avoir une application extraterritoriale des droits de la personne ou des normes de la DRIPS, par exemple concernant les entreprises canadiennes qui opèrent en Amérique latine?
Le droit autochtone
Là où les systèmes étatiques n’ont pas réussi à faire respecter les droits des Peuples autochtones et à reconnaître les territoires et les systèmes de gouvernance ancestraux, les Peuples autochtones ont néanmoins affirmé leur autonomie par le biais de leurs propres lois et pratiques de gouvernance. Les questions de recherche comprennent: quels sont les mécanismes ou les approches développés par les Peuples autochtones pour réagir aux empiétements sur leurs territoires, pour s’approprier ou vulgariser la notion de consentement préalable donné librement et en connaissance de cause ou pour mettre en œuvre d’autres normes, ou pour établir des relations avec des acteurs externes; comment les groupes autochtones peuvent-ils partager les leçons tirées de ces innovations; comment la reconnaissance de la réalité des légalités autochtones s’intègre-t-elle dans le discours universitaire et politique et dans l’éducation juridique?
Les interlégalités
Le sociologue Boaventura Sousa Santos a inventé le terme «interlégalité» pour décrire le paysage polycentrique résultant de lois élaborées à différentes échelles (locale, nationale, internationale) et par différents acteurs (États, Peuples autochtones, entreprises, autres) qui interagissent en même temps dans le même espace. Cette interlégalité résulte de « zones de contact » dans lesquelles différents systèmes juridiques se rencontrent avec divers effets (domination, émancipation, violence, entre autres), dans lesquelles il existe une « porosité » et de la rétroaction entre ces systèmes juridiques, et de l’hétérogénéité en leur sein. Néanmoins, par exemple, lorsque les relations et les responsabilités territoriales des peuples autochtones se heurtent aux droits d’accès et d’utilisation des ressources accordés aux entreprises, les conflits résultant des manifestations autochtones contre les développements ont tendance à être criminalisés plutôt que traités comme une question de compétence eu égard à différents ordres juridiques. Dans la plupart des cas, ces conflits sont réglés par des tribunaux et des lois étatiques, avec peu ou sans égard pour les normes et les systèmes juridiques autochtones. Les questions de recherche sur ce sujet incluent: comment les systèmes juridiques extérieurs affectent-ils l’élaboration des lois autochtones et la capacité des Peuples autochtones de soutenir leurs aspirations à l’autonomie; comment la loi de l’État peut-elle devenir plus réceptive au droit et aux institutions autochtones, notamment par l’éducation des fonctionnaires, des procédures flexibles telles que la négociation et des institutions hybrides ayant pour mandat de s’appuyer sur le droit autochtone; quel potentiel existe-t-il pour que les ontologies autochtones entrainent un changement de conceptualisation, au sein des légalités dominantes, de certains problèmes plus vastes, tels que la dégradation de l’environnement et le changement climatique, auxquels nous sommes tous confrontés?
Responsables du thème: José Aylwin, Kirsten Anker, Viviane Weitzner.
Contributeurs du thème:
Terry Mitchell
Resguardo Indígena Cañamomo Lomaprieta
Étienne Roy Grégoire