« Eeyou Istchee » est le territoire traditionnel des Cris du nord du Québec (les Eeyou). Le terme signifie « la terre des Eeyou/Eenou (le peuple) ». Les Cris vivent sur ces terres ancestrales, situées dans les écozones boréales et de la taïga, depuis des milliers d’années. Il y a plus de 18 000 Cris, dont 16 000 résidant dans neuf communautés cries, et une dixième communauté est actuellement en voie d’être établie. Le territoire traditionnel cri couvre 400 000 km2, et l’ensemble du territoire est utilisé par les Cris pour des activités traditionnelles de chasse, de pêche et de trappe. En vertu de la Convention de la Baie-James et du Nord québécois (CBJNQ) (1975), il existe trois catégories de terres dans Eeyou Istchee : les terres de catégorie I sont à l’usage exclusif et à l’administration des Cris ; les terres de catégorie II sont des zones dans lesquelles les Cris ont des droits exclusifs de chasse, de pêche et de trappe, mais aucun droit d’occupation spécial ; et les terres de catégorie III sont celles partagées par les peuples autochtones et non autochtones. Eeyou Istchee compte plus de 300 territoires de piégeage (territoires de chasse familiaux), des centaines de concessions minières, plusieurs projets miniers, et a subi des impacts majeurs suite aux développements hydroélectriques depuis les années 1970.
Hydroélectricité
Carte de l’activité hydroélectrique à Eeyou Istchee. Source : Chantal Otter-Tetreault et Colin Scott, Présentation au colloque du CICADA 2015.
Dans les années 1960, le gouvernement du Québec a annoncé trois projets hydroélectriques : le projet LaGrande, le projet de la rivière Grande-Baleine et le projet Nottaway-Broadback-Rupert (NBR). Les Cris n’ont pas été consultés adéquatement sur ces projets, alors en réponse ils ont créé le Grand Conseil des Cris dans les années 1970. Le Grand Conseil des Cris est constitué des chefs des neuf communautés cries. Les différends entre les Cris et le gouvernement du Québec au début des années 1970 ont entraîné la signature de la Convention de la Baie-James et du Nord québécois (CBJNQ) en 1975.
À la fin des années 1980, le Québec a proposé le projet hydroélectrique de la Grande-Baleine. Les Cris ont senti que le Québec ne respectait pas les ententes conclues dans le cadre de la CBJNQ, alors ils ont protesté et réussi à mettre le projet Grande-Baleine de côté pendant de nombreuses années. En 2002, les Cris et le Québec ont signé la Paix des Braves. Grâce à cet accord, les Cris ont influencé le Québec à ne pas donner suite au projet NBR dans toute son étendue ; le projet NBR a été remplacé par le projet Eastmain-1-A-Sarcelle-Rupert, assurant ainsi que moins de terres soient inondées.
Foresterie
Forêt de Wemindji. Source : Katherine Scott.
Christopher Beck, représentant du Département de l’Environnement et des Travaux de Correction du Comité Eeyou de Conservation, travaille en partenariat avec le CICADA sur les problématiques forestières et les aires protégées dans Eeyou Istchee. Sur le territoire d’Eeyou Istchee, il y a eu plus de 70 000 km2 de développement forestier avec plus de 2 000 000 m3 de bois récolté annuellement. Pour permettre ce niveau élevé de production forestière, plus de 15 000 km de routes ont été construites dans cette région. Cinq communautés cries (ou 125 territoires de piégeage) sont affectées par l’exploitation forestière, alors que 16 000 non-Cris vivent dans un petit nombre de villes dont l’économie est axée sur les ressources de la région.
Territoire Eeyou couvert au chapitre 3 de « Le Nouvel Accord » entre le Gouvernement du Québec et les Cris. Source : Cree Quebec Forestry Board (CQFB).
La sociologue Sara Teitelbaum a expliqué lors du colloque du CICADA de 2015 que la législation forestière du Québec n’a pas de dispositions pour la consultation des peuples autochtones concernant les activités forestières. Certains des principaux effets de la foresterie incluent la pollution des usines de pâtes et papiers ; la destruction des habitats fauniques ; les dépotoirs des camps forestiers ; et l’accès accru à Eeyou Istchee par les routes principales, ce qui introduit de plus en plus la chasse sportive, l’exploitation minière et l’hydroélectricité dans la région. Dans les années 1990, les Cris ont senti que la foresterie devenait une menace pour leur culture et leur territoire.
Les dépotoirs des camps forestiers sont l’un des principaux effets de la foresterie. Source : Sara Teitelbaum, Présentation au colloque du CICADA 2015.
Le chapitre 3 de l’accord de la Paix des Braves de 2002 a créé un « Régime forestier adapté » avec des dispositions pour une meilleure harmonisation des activités forestières avec le mode de vie traditionnel des Cris. Le Régime forestier adapté prévoit des normes de gestion spéciales, notamment la coupe en mosaïque et les exigences de couvert forestier minimum, et décrit les zones d’intérêt particulier pour la faune, afin de maintenir l’habitat d’espèces clés telles que l’orignal, le castor, le poisson et le caribou.
Aires protégées dans Eeyou Istchee. Source : Cree Nation Government.
La désignation des terres qui sont protégées du développement industriel a augmenté dans Eeyou Istchee depuis 2003. Certaines de ces zones ont été développées et proposées par les communautés cries, alors que d’autres ont été établies par le Gouvernement du Québec sans consultation ni participation adéquate des Cris. Au niveau local, la Nation crie a développé la Stratégie de conservation régionale crie. L’objectif principal de cette stratégie est de créer un réseau interconnecté d’aires de conservation dans Eeyou Istchee, afin de sauvegarder le mode de vie cri et de soutenir la biodiversité. De plus, l’objectif est d’assurer une participation crie complète dans la planification et la gestion des aires de conservation. La conservation de la faune et la sécurité alimentaire sont des éléments clés de la stratégie, et le meilleur du savoir cri et des sciences de la conservation est utilisé dans ce processus.
Wemindji. Source : Katherine Scott.
Les Aires protégées de la région marine sont un groupe de sites de conservation marine établis par les Cris. Comme l’a expliqué Colin Scott lors du colloque du CICADA de 2015, c’est une construction artificielle de séparer les territoires marins et terrestres dans la création de sites protégés, mais c’est la réalité politique. L’Aire de conservation marine Tawich a été développée à Wemindji et proposée au gouvernement fédéral en 2009. Peu de temps après, les Cris ont voté en faveur de l’Accord sur les revendications territoriales concernant la région marine d’Eeyou. La mise en œuvre de cet accord implique la planification de l’utilisation des terres et la création d’aires protégées. Les structures de mise en œuvre et le personnel sont actuellement mis en place pour s’assurer que les communautés côtières sont correctement consultées.
Proposition d’aires protégées du bassin versant Broadback. Source : Chantal Otter-Tetreault et Colin Scott, Présentation au colloque du CICADA 2015.
Chantal Otter-Tetreault, analyste environnementale au Grand Conseil des Cris et partenaire autochtone du CICADA, a mentionné qu’un site que de nombreuses communautés nordiques sont très désireuses de protéger est le lac Bienville. C’est une zone qui est destinée à devenir un réservoir hydroélectrique. Les Cris sont activement engagés dans des négociations difficiles avec le Québec pour protéger ce site marin important, ainsi que d’autres sites marins qui font partie du Plan de conservation du bassin versant Broadback. Outre l’identification et l’établissement d’aires protégées terrestres et marines, les Cris ont été très stratégiques dans l’acceptation et le rejet de projets miniers sur leur territoire. Ces dernières années, ils ont accepté une mine d’or près de Wemindji et une mine de diamants près de Mistissini ; cependant, ils ont imposé un moratoire sur l’extraction de l’uranium dans Eeyou Istchee.
Sammy Blackned de la Nation crie de Wemindji a travaillé en partenariat avec la candidate au doctorat et coordinatrice de la recherche patrimoniale Katherine Scott pour aider Wemindji à réaliser un Musée culturel de Wemindji. Katherine a aidé à la documentation des pratiques culturelles et, avec la communauté, elle a assemblé un livre détaillant le processus communautaire de fabrication du Shaashtichishaan, un mets délicat cri. Sammy, Katherine et la candidate au doctorat Geneviève Reid aident également au projet communautaire de documentation des territoires de piégeage pour le Musée, ainsi que des vêtements traditionnels, de l’artisanat et des pratiques culinaires.
Dans le camp culturel, le fil est utilisé pour créer des cordes pour des mitaines épaisses pour se protéger contre les hivers froids.
Cartographie
Nation Crie de Wemindji
John Bishop a travaillé avec la Nation crie de Wemindji dans le cadre du Programme des noms de lieux du gouvernement de la Nation crie, qui a débuté en 2013 dans le but d’établir une commission de la langue crie et de sauvegarder la langue crie. Le projet se concentre plus spécifiquement sur les noms traditionnels des entités géographiques, telles que les communautés, les lignes de piégeage ou les lacs. Comme le dit Bishop, le projet est principalement un effort proactif étant donné les taux élevés de maîtrise de la langue crie à Wemindji. Le projet est concrétisé par une base de données géographiques de cartes qui indiquent non seulement les noms de lieux traditionnels, mais aussi des informations qui aident à expliquer l’histoire linguistique et culturelle de ces noms. Ainsi, la base de données traite plus qu’un seul type d’information, mais aussi tout type de multimédia qui peut ajouter une couche de compréhension au nom. Le projet est également une réponse aux cartes inadéquates de la région fournies par le gouvernement canadien, qui peuvent non seulement présenter des noms avec une orthographe crie incorrecte, mais aussi changer les noms cris traditionnels en noms anglais ou français. Lors de la réunion 2016 du CICADA, Bishop a souligné :
« Au fur et à mesure que la popularité des cartes monte, on voit de plus en plus de gens utiliser les noms de lieux en français et en anglais pour s’orienter, perdant ainsi progressivement les noms cris qui sont beaucoup plus riches en ce qui concerne la transmission de l’histoire, l’écologie, et toute sorte d’autres aspects importants de la culture crie. »
Ainsi, le but du Programme des noms de lieux est de produire des cartes spécialement conçues pour l’utilisation par les individus cris et pour le maintien de leur langue. Une partie de la raison pour laquelle les cartes sont de plus en plus utilisées dans les communautés cries est attribuable à la perte graduelle des connaissances traditionnelles. Sammy Blackned de la Nation crie de Wemindji mentionne lors de la réunion 2016 du CICADA :
« En raison de toutes ces conditions que nous devons respecter dans la société contemporaine, nous sommes limités au temps que nous pouvons consacrer à la terre, et par conséquent, cela nous éloigne de nos enseignants du savoir traditionnel, donc cela limite la transmission de nos connaissances à nos jeunes générations. »
C’est de cette manière que se dévoile l’importance du Programme des noms de lieux, grâce auquel les connaissances transmises à l’origine par le biais d’un mode de vie traditionnel sont maintenant transmises et préservées grâce à de nouveaux outils et technologies.
Recherche
Colin Scott
Directeur de CICADA et INSTEAD
Colin Scott, directeur de CICADA et d’INSTEAD, a travaillé longuement avec les Eeyouch. Il a étudié la cogestion autochtone et non autochtone dans les projets de développement et s’est concentré spécifiquement sur ce sujet en relation avec « L’Entente concernant une nouvelle relation » entre les Eeyouch et le Gouvernement du Québec.
Réunion des partenaires de Wemindji.
« Dans quelles circonstances et par quels moyens est-ce que les régimes de ‘cogestion’ des ressources, au-delà de mettre les représentants autochtones dans un rôle simplement consultatif vis-à-vis de l’État, facilitent un vrai partage du pouvoir ? »
—Co-Management and the Politics of Aboriginal Consent to Resource Development: The Agreement Concerning a New Relationship between Le Gouvernement du Québec and the Crees of Québec (2002)
Monica Mulrennan, partenaire académique du CICADA, a aussi travaillé avec les Eeyouch. Son travail a examiné les manières par lesquelles les Eeyouch ont modifié leur paysage afin de maintenir et d’améliorer des conditions désirables pour la chasse face aux changements environnementaux.
« Alors que les modifications du paysage sont motivées par un désir d’accroître la productivité et la prévisibilité des ressources, elles reflètent aussi un engagement intergénérationnel envers le maintien de lieux de chasse établis en tant que connexions importantes avec le passé. »
—Securing a Future: Cree Hunters’ Resistance and Flexibility to Environmental Changes, Wemindji, James Bay
Les partenaires du CICADA Nicole Fenton, de concert avec Hugo Asselin et l’étudiante à la maîtrise Mhaly Bois-Charlebois, ont mené des recherches sur la compensation appropriée pour l’extraction des ressources, spécifiquement l’extraction de l’or, dans Eeyou Istchee. Dans sa recherche, elle s’est engagée avec des membres de la communauté eeyou afin d’acquérir une compréhension de la perspective crie sur les services écosystémiques.
Étude des impacts environnementaux et sociaux des activités minières dans l’Eeyou Istchee, au Nunavik et au Nunavut
Autochtones et exploitation minière au Canada et au Guatemala : développer une compréhension fine des enjeux par le biais de la collaboration et de la comparaison
Développement des aires protégées et gestion de l’environnement, Eeyou Istchee (Cris du nord du Québec)